• Farewell, d'Apocalyptica. Je l'ai écoutée, avec d'autres musiques du même groupe (Kaamos, Cohkka, One...), pendant toute la lecture de la troisième partie de Terrienne. Je vous la mets, car je trouve qu'elle est la plus belle de toutes. Je l'ai aussi écoutée pendant l'écriture de cette chronique.

     

    Terrienne, de Jean-Claude Mourlevat

     

    Noël. Un paquet dans ta boîte aux lettres – la boîte aux rêves. Comme toujours tu ne t'y attendais pas – a-t-on déjà prévu un rêve ? Tu pèses le colis, il est lourd, un peu mou comme s'il contenait une eau à-demi solidifiée, durement caoutchouteuse. Hmmm... Crissement de l'enveloppe qui s'ouvre sous tes doigts fébriles. Et le livre, dans tout son art, qui t'apparaît, te présentant une épaisse tranche souriante. Ouaow. Celui-là, tu le sais, tu le sens, il est... spécial. Tu ne sais pas en quoi, mais... il a quelque chose. Comment dit-on déjà ? Une âme. C'est ça, une âme bien particulière, à lui, rien qu'à lui, et qu'il accepte, dans sa grande générosité, de t'entrouvrir. Il y a des livres dans lesquels on entre comme dans un monde, et c'est tout ce qui te fascine : c'est petit, ça tient dans la main, ça se cache dans un sac, ça ne fait pas beaucoup de bruit, ça ne pèse pas trop lourd... Mais c'est un monde, un vrai, avec un chant, le chant des pages qui se tournent, qui bruissent sous tes doigts amoureux comme les feuilles des arbres à l'automne, ronronnant de plaisir dans le souffle du vent. Une odeur envoûtante s'en échappe – papier ; hmmm... Mais les pages, tu ne les vois plus quand tu lis. Les mots te portent, leur parfum t'entraîne, leur psalmodie te perd dans les méandres d'un songe qui devient tien. 
    Terrienne, comment dire... Rien que le titre, c'est beau. C'est profond. Dans l'essence de « terrienne », c'est le monde qui s'exprime. Ca a quelque chose de solennel qui interpelle, quelque chose de grand, d'universel... De ce mot, c'est tout l'amour de l'auteur pour la vie, pour ce qu'elle est, avec tous ses défauts mais aussi toutes ses qualités, qui transpire, qui suinte, comme des larmes d'émotions. On ne la voit pas assez, la beauté du monde, la chance que l'on a de vivre, de sentir, d'entendre, de souffrir, de transpirer, de hurler, de pleurer ! Car Terrienne, ce n'est pas une petite histoire de Fantasy bien sympathique, mais une course effrénée pour la vie. Ce n'est qu'en manquant de la perdre, qu'en touchant du doigt l'apocalypse, qu'en étant enchaîné dans tout ce que la vie terrienne n'a pas, qu'on comprend la beauté pure, magnifique, brute, de ce qu'on est. En sortant de ce roman, tu te rends compte que tu as oublié de respirer, que tu as senti ton cœur battre comme s'il n'y avait plus que cela qui te restait, et tu te sens vide... bien. Heureuse. La fin (triste ou heureuse ?Rien n'est joué... Tout est si instable, si proche du gouffre...) de ce rythme entraînant qu'est la fuite éternelle qui, au lieu de se diriger vers la lumière, plonge jusqu'à l'enfer pour sauver Gabrielle, la soeur disparue de l'héroïne, n'a pas apaisé ton cœur – il n'a que trop dormi, ton cœur. Non, elle l'a fait battre avec un entrain nouveau, un entrain presque douloureux, fort, cru, car il crie ton cœur, il crie son amour pour la vie, la vraie, celle de la boue, celle des souffrances, celle des souillures – mais celle de tous les bonheurs. Il faut aimer son monde. Tu avais oublié que tu aimais le tien. Anne, sa spontanéité, sa quête insensée dans le train de la mort, te l'as rappelé. Vous avez plongé ensemble dans l'horreur, sans le savoir vous vous êtes tenu la main. Tu as l'impression que tu as vécu cette aventure. Tu en ressors si... essoufflée... bouleversée... Sonnée. Voilà, tu es sonnée. Tu ne sais pas trop si tu as échappé à cette horreur, tu as perdu beaucoup de toi, tu n'as gardé que l'essentiel – la disparition de certains personnages importants, auxquels tu t'étais attachée, à des moments toujours inattendus et de manière terrible, brutale, ayant aidé. Avec eux sont partis les clichés, les certitudes, et quelque part, tout ce qui, finalement, n'est que superficiel. Tu les aimais pourtant – l'auteur ayant le don de t'attacher à des personnages connus depuis peu - , mais on n'a pas toujours la possibilité d'avoir auprès de soi tout ce qu'on aime... Parfois, certaines entreprises nécessitent le sacrifice – de soi ou des autres. C'est ça, la vie : il y a ceux qui s'en sortent, écorchés, secoués, détruits, et ceux qui disparaissent, comme ça, brutalement, sans l'avoir mérité – pas de pitié. Rien que le deuil... et l'amour. 

    Alors tu voudrais dire à tous ceux qui hésitent encore à lire 
    Terrienne ce modeste petit conseil : Laissez-vous emporter par ce petit coin de France, en bord de Loire, entre Saint-Etienne et Montbrison, laissez venir à vous l'odeur de la campagne, des petites routes boueuses, crottées par les tracteurs ; laissez-vous entraîner dans la vieille voiture d'un écrivain essoufflé qui écoute la radio pour ne pas songer au néant de sa vie ; observez, surtout, le bas-côté. Quand vous verrez une jeune fille brune, pas très grande, avec un scarabée vert dans la main, laissez-la vous emmener, un peu sans le vouloir, vers cette étrange petite route à travers champs qui semble mener à... Campagne. Et respirez. Respirez à fond. Vous y êtes... A vos risques et périls. Pour votre survie.

    Jean-Claude Mourlevat a le souci du détail, ce genre de détails qui font toute la différence. Le détail de l'authenticité. Il écrit comme il a envie d'écrire, plein, entier, fidèle à lui-même. Pas de contrainte : on change de points de vue, desquels dépendent les temps du récit, tantôt au présent, tantôt au passé, sans que cela ne soit gênant. Il en ressort une œuvre plus vraie, plus réelle, à fleur de peau. Comme si on lui avait enlevé son écorce, comme s'il n'en restait plus que les chairs et les nerfs, à vif, battant à l'unisson, écorchés par chaque nouvelle sensation, telle la larme qui brûle, la brise qui griffe. 

    On l'aura compris, tu as aimé. Beaucoup. Qu'est-ce que ça fait du bien ! Tu as tellement aimé que tu fais durer la chronique... c'est agréable de mettre des mots sur ce que tu as ressenti, agréable de partager avec d'autres lecteurs ce que tu as vécu, un peu comme si, à ton tour, tu leur faisais un petit don, juste un petit, comme un échantillon de 
    Terrienne. Tu as plongé dans toute la troisième partie du livre en écoutant en boucle Apocalyptica (Farewell, Kaamos, Cohkka, One pour les intéressés) et le relief que cela a donné à ta lecture t'en a donné le vertige. C'était tout simplement sublime.

    Mais bon. Si l'on veut, comme l'auteur, épurer au maximum tout le trop-plein, tout le superficiel, tu souhaites simplement hurler au monde cette vérité qui imprègne à présent chacune de tes cellules : 

    Je suis heureuse d'être une Terrienne

     

     

    Chronique réalisée pour Gallimard Jeunesse sur son blog : http://groups.skyrock.com/group/8a2m-ON-LIT-PLUS-FORT-Harry-Potter-Fantasy/5

     

     

     



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