• La triste et longue histoire

    des petites perruches

    Petits contes ailés

    Chapitre 1 : Pirouette

    A l'époque, je m'appelais Pirouette. C'étaient mes humains qui m'avaient nommée comme ça ; dans mon univers, on n'a pas vraiment de nom, plutôt une odeur particulière qui nous caractérise et que nous sommes seuls à sentir. 

    Je me souviens à peine de mon arrivée dans ma famille, j'étais si jeune, à peine jeune adulte - à ce qu'il paraît, c'est toujours ce qu'il faut faire : adopter une jeune perruche juste sevrée, plutôt qu'une adulte qui restera distante toute sa vie. C'était mon cas, j'étais presque un bébé. Je crois que j'étais née dans un élevage loin des horribles magasins d'animaux, où la plupart du temps, on est très mal traité. Je ne sais pas comment mes humains eurent la connaissance de mon élevage, en tout cas, un jour, je me retrouvai dans un petit carton noir qui bougeait sans cesse. Il y eut un bruit du tonnerre quand on me plaça dans l'énorme cage à roues motorisée que je ne pouvais qu'entendre ; mais je n'avais pas si peur, finalement, j'étais jeune et vive, très espiègle et bien trop curieuse pour regretter mon ancienne cage.

    Quand le plafond de ma geôle sombre s'entrouvrit, j'aperçus trois visages enfantins qui me dévisageaient avec un grand sourire, mais une voix adulte leur intima de se tenir tranquilles et de me laisser m'accoutumer à ma nouvelle vie. Je ne pris pas beaucoup de temps pour m'échapper de ma prison exiguë, pour déboucher dans une cage plus grande aux barreaux blancs qui formaient un cylindre vertical et se rejoignaient tout en haut en une gracieuse coupole. C'est vrai que ce n'était pas immense, mais je ne m'en formalisai pas, j'étais déjà ravie d'être de nouveau au calme et d'avoir la place d'étirer mes ailes. J'avais des branches de millet qui me chatouillaient le ventre, un appétissant distributeur de graines, un os de seiche bien pratique pour me faire le bec et une fontaine à eau qui me désaltéra rapidement. Que demander de plus ?

    Peut-être un peu d'espace pour voler... C'est vrai que je surpris tout le monde par mon tempérament joueur : très vite, j'oubliai ma timidité et je manifestai déjà mon excitation. Je voletais partout dans ma nouvelle maison, je courais de perchoir en perchoir, et je faisais même de jolies pirouettes espiègles qui me valurent bientôt mon prénom... Les jeunes humaines ne restèrent pas longtemps loin de ma cage : elles s'approchèrent de plus en plus et rirent de mes cris enjoués, entamant avec moi un drôle de dialogue en tentant de m'imiter avec leurs sifflements, ce que je repris joyeusement. C'était très drôle : elles sifflaient une fois, je sifflais une fois ; elles sifflaient deux fois, je sifflais deux fois.

    Ainsi, la complicité s'établit rapidement avec ma famille d'accueil, qui ne tarda plus à ouvrir la porte de ma cage pour que je puisse m'aérer un peu. Par mes plumes vertes - et Dieu sait si j'en ai -, il y en avait un qui ne se sentait pas très à l'aise quand je volais à grand bruit (car les ailes, c'est bruyant !) en rase-motte à travers la grande pièce ! Je passais au-dessus de sa tête à toute vitesse et il m'esquivait toujours d'un air crispé, préférant souvent battre en retraite précipitamment vers des étages où je n'avais pas le droit d'aller ! Ce n'est pas qu'il ne m'aimait pas, cet humain, mais s'il avait pu ouvrir les fenêtres pour que je disparaisse, peut-être l'aurait-il fait, si ce n'est que cela aurait brisé le coeur de certaines. Ce n'est pas que j'aurais voulu m'enfuir pour toujours si on m'avait permis de sortir dans le jardin, mais voilà, nous les perruches, nous avons un sens de l'orientation pitoyable et nous sommes incapables de retrouver notre chemin.. Or, nous venons d'un pays chaud où la nourriture se trouve en abondance ; ici, dans les froids pays d'Europe, nous mourons dans la nature en moins de trois jours. Sans compter que de nombreuses plantes sont toxiques pour nous, et nous ne le savons pas.

    Toujours est-il que le premier jour de ma sortie, je fis mon petit effet dès le début. En effet, les enfants jouaient sur le sol au-dessous de moi, dont une qui feuilletait un livre aux feuilles épaisses recouvertes de jolis dessins. Je ne sais pas vraiment ce qui me prit, sûrement que j'avais envie de jouer avec elle, en tout cas, d'un coup, je m'envolai de la fenêtre fermée sur les barres horizontales de laquelle j'aimais me poser et j'atterris en plein sur le livre. Mes petites pattes griffues ripèrent sur les pages glissantes et j'eus du mal à me maintenir debout. Dans la pièce, tout le monde s'immobilisa et je levai mon regard brillant vers la jeune humaine qui me dévisageait avec émerveillement. Je l'avais vue tourner les pages et j'avais trouvé ça rigolo, alors ni une, ni deux, je m'avançai prudemment vers un bord du livre, j'attrapai un rebord de page et d'un coup, je me mis à reculer laborieusement pour la tourner à mon tour. Je ne compris pas trop pourquoi tout le monde rit dans la pièce, en tout cas je recommençai mon manège jusqu'à ce qu'une grande main enfantine ne vienne me barrer le passage. Elle était posée à plat, paume en l'air, et semblait m'inviter. Je lâchai mon bout de page qui retomba dans un bruissement et je fixai presque sans méfiance l'étrange membre rose. Ca n'avait pas l'air bien dangereux, et puis j'en avais déjà vu quelques-unes, des mains, mon éleveur m'avait déjà manipulée. Il n'y avait rien d'autre à faire que de grimper dessus et que de faire ce que j'adorais exécuter : remonter en crabe le long du bras, m'accrocher au vêtements pour ne pas tomber, avancer pas à pas vers le cou de mon hôte et le lui chatouiller par des petits bisous d'oiseau. Je le fis, et à compter de ce jour, à peine quelque temps après mon arrivée, je fus un peu la mascotte de ma famille. Tous les jours, je pouvais sortir de ma cage, voler dans tous les sens de fenêtre fermée en fenêtre fermée pour me poser sur leurs barres de bois, et puis tester le piano aussi en atterrissant sur les touches dont le son m'intriguait beaucoup. C'était très drôle d'entendre la musique que je produisais, certes plus que brouillon, mais quand-même ! Ma maîtresse avait découpé dans du papier-mousse une fausse perruche un peu grossière et m'attirait avec elle d'un bout à l'autre du clavier, me faisant faire des arpèges et des gammes tremblantes du grave vers l'aigu, de l'aigu vers le grave, ponctuées des cliquetis excités de mes griffes qui ripaient partout où je marchais. De toute façon, j'aimais la musique. Je chantais, je faisais toujours du bruit quand je volais, et puis quand un des adultes jouait du piano, je chantais de plus belle en rythme - s'il vous plaît ! Même l'humain m'aimait bien ; en fait, je le fascinais un peu.

    Bien sûr, j'avais quelques défauts ; j'avais beau être très intelligente et très drôle, je ne savais pas ce que voulait dire le mot "propreté" ; où que j'aille, et même parfois quand je me posais sur la tête de mes humains et que je jouais avec leurs cheveux, il m'arrivait fréquemment de laisser mes crottes salissantes. Quand c'était sur le carrelage, c'était facile à enlever, mais je le faisais bien souvent sur les fenêtres, dans les cheveux, sur le piano qui en souffrait évidemment beaucoup, sur les canapés... A mon humble avis, une volière aurait été plus appropriée, mais je n'aurais pas été aussi complice avec mes humains... Les petites m'aimaient tellement, et puis moi je m'amusais bien avec elles. Quand elles m'appelaient je venais sur leurs mains, dans leur cou, et dès que je voyais ma maîtresse adulte, j'adorais venir me poser sur ses lunettes, face à elle, et glisser ma tête entre le verre et l'oeil pour la frotter gentiment.

    Des fois, je prenais des bains dans de petites coupelles remplies d'eau pas trop fraîche, quand il faisait chaud seulement, car les perruches sont des animaux très fragiles et peuvent facilement attraper froid. Un jour que j'étais trop curieuse, je voulus aller voir ce qu'il y avait au fond d'un long verre à boire ; je tombai la tête la première, le bec dans l'eau, incapable d'en sortir... Heureusement que ma maîtresse était là, elle m'attrapa aussitôt par la queue et me fit sortir illico. J'eus mal ce jour-là, car la queue est fragile, mais avait-on eu le choix ?

    Autre inconvénient à ma compagnie, c'est qu'il fallait changer de fond en comble ma cage toutes les semaines. Le sol en était si sale de plumes et d'excréments que je risquais d'être malade, et les enfants aussi. Laver une cage de perruche est laborieux pour un enfant : il fallait retirer le sol, le vider, l'astiquer, puis astiquer toute la cage, les barreaux, les gamelles... Cela, toutes les semaines. Sans compter ma fontaine à eau qu'il fallait changer et nettoyer tous les deux jours, et ma nourriture qu'il ne fallait pas oublier...

    Mis à part cela, je crois que ma compagnie plaisait beaucoup, et je rattrapais les inconvénients par ma joie et mes câlins. Il ne me manquait plus que la parole. Oh, détrompez-vous, on dit que les perruches peuvent parler comme les perroquets, mais en réalité, c'est une rareté. Il faut s'y prendre très tôt et être très patient, répéter vingt fois par jour le même mot, pour espérer qu'au bout de quelques années la perruche se mette à répéter... Moi je n'avais aucune envie de parler, je chantais et cela me suffisait. Mes cris n'importunaient pas car ils n'étaient jamais agressifs, il ne s'agissait pas de piaillements mais de jolies mélodies qui mettaient des touches d'été dans la maison.

    Et moi, j'étais heureuse. Ma jeune maîtresse m'aimait beaucoup car elle avait attendu depuis huit ans d'avoir un animal de compagnie. D'après ce que j'ai compris, elle désirait par-dessus tout un chat, mais ses parents refusaient et la proposition d'une perruche lui avait semblé un bon marché. Elle était très tendre avec moi et passait beaucoup de temps à mes côtés.

    Mais... la paix ne pouvait pas durer, malheureusement. Je ne restai avec eux que quelques mois, un an peut-être, si peu... Un jour d'été, la famille mangeait sur la terrasse et avait sorti ma cage pour que je puisse profiter du soleil. J'adorais ces moments, je respirais l'air du dehors, j'écoutais les tonalités de mon chant se perdre dans la brise... La seule erreur de mes maîtres fut de mettre dans ma cage quelques feuilles diverses pour décorer mon intérieur. Ils pensaient me faire plaisir... Parmi ces feuilles, je reconnus du lierre. Danger mortel, le lierre, c'est un poison qui ne vous laisse aucune chance. A cette époque je ne savais pas que j'étais condamnée...

    La famille était à quelques jours d'un déménagement. Bientôt, les enfants, dont ma jeune maîtresse, furent envoyées quelque part loin des parents, pour éviter qu'elles ne les gênent au milieu des cartons. Moi je me sentais de plus en plus mal, faible, perdant l'appétit. Toute cette agitation, cette poussière que l'on remuait, ces meubles que l'on déplaçait à grand bruit, ce paysage qui changea d'un coup, ces déménageurs aux visages inconnus qui n'étaient évidemment pas là pour faire dans la délicatesse, contribuèrent à m'épuiser davantage. Le voyage dans la voiture, même si j'étais toujours dans cette cage que je connaissais bien, m'aurait certainement moins traumatisée si je n'avais pas été si faible. Ma maîtresse adulte me jetait des regards fréquents et inquiets, tourmentée par mon aspect maladif, et elle attribuait mon état au déménagement sans savoir que la maladie s'était propagée avant, à cause d'une ignorance qu'on ne pouvait lui reprocher... J'aurais tant voulu m'accrocher, ne pas quitter ainsi cette famille dans laquelle j'étais à mon aise... mais j'étais trop fragile, impuissante. Le lendemain de l'emménagement, je succombai à mon enfer, pâle ombre de ce que j'avais été jusque là... Ma maîtresse me découvrit là et s'en trouva bouleversée. Les enfants arrivaient dans quelques jours et il ne fallait pas qu'ils attribuent à la nouvelle maison la mort de leur petite compagne...

    Désemparée, ne sachant pas quoi faire et triste de ma perte, mon humaine alla m'enterrer au fond du jardin et passa la journée suivante dans les animaleries, à la recherche d'une perruche qui pourrait me ressembler pour tromper les enfants. Ce n'était pas de gaîté de coeur qu'elle faisait cela, au contraire, elle s'en voulait, mais il lui fallait bien préserver ses filles... 

     

    Chapitre 2 : Inimitable Pirouette.

    Après ma mort, la Fausse Pirouette prit ma place dans la cage. Elle me ressemblait assez, physiquement, avec ses plumes vertes, ses joues jaunes et bleues, sa queue chatoyante. Mais c'était une adulte que les mains des humains effrayaient. Ma jeune maîtresse, assaillie par de nombreuses images nouvelles, prêta l'état de cette perruche étrange à ma maladie, sans savoir que j'étais décédée. Sa mère ne lui révéla d'ailleurs l'affaire que de nombreuses années plus tard. 

    Mais tout de même, la santé de cette nouvelle perruche était alarmante. Elle n'était visiblement plus toute jeune et l'empressement des enfants à la caresser, la faire sortir, la faire jouer et chanter, la traumatisait. Elle n'avait rien de commun avec moi, la bécasse !

     

    Petits contes ailés

    Pour lui redonner goût à la vie, mon ancienne maîtresse eut l'idée de lui offrir une petite compagne. Elle emmena donc les enfants dans une animalerie et elles rapportèrent une jolie petite perruche mâle, toute bleue aux joues blanches, qu'on appela vite Grignote. La seule différence avec une femelle, c'était son bec bleu caractéristique des mâles. Grignote, moins farouche que mon usurpatrice, se laissait caresser sur le ventre mais restait plus distant que moi, plus timide. Il lui manquait cette espièglerie, cette naïveté, cette malice que j'avais eues, moi. C'était un gentil mâle, très doux avec sa compagne. Mais la Fausse Pirouette était trop mal en point ; elle s'éteignit au bout de quelques jours sans vraiment que l'on sache pourquoi, et les petites crurent longtemps qu'il s'agissait de ma mort. Elles me pleurèrent longtemps, décontenancées par ce qu'elles pensaient que j'étais devenue pendant ces plusieurs dizaines de jours où je m'étais apparemment faite distante, fermée...

    Elles me regrettèrent tellement que ma maîtresse adulte, désirant apporter aussi un réconfort à Grignote qui se laissait un peu dépérir à présent qu'il était seul, emmena le reste de la famille chercher une autre perruche, qui à ma grande irritation, me ressemblait également bien qu'elle soit plus petite de taille. D'ailleurs, les enfants qui ne voulaient pas accepter mon départ, l'appelèrent... Pirouette2. Vive l'originalité.

    De toute façon, je crois que les perruches destinées à me remplacer furent frappées de malédiction. Cette deuxième fausse Pirouette s'avéra faible également, avec une malformation de la patte qui l'empêchait de se mouvoir correctement. Au bout de seulement quelques jours, on la rapporta à l'animalerie pour éviter un nouveau décès.

     

    Chapitre 3 : Brindille.

     

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    Bien entendu, on ne repartit pas bredouille : Grignote avait besoin de compagnie. Il sortait bien moins souvent que moi à mon époque, ne serait-ce que parce qu'il était incapable de distinguer les vitres des fenêtres (quand moi je les reconnaissais parfaitement) et se cognait violemment dessus. Il fallait, quand il sortait, mettre les volets en tuile pour qu'il croie avoir à faire à un mur. Si ce n'est pas malheureux... Et puis il devenait de plus en plus distant, lui aussi, bien que les enfants l'aiment bien quand-même.

    Ma jeune maîtresse choisit une nouvelle perruche qu'elle appela Brindille. C'était un joli petit oiseau, plus clair que moi, avec les plumes majoritairement jaunes, sauf le ventre qui était d'un vert très clair se rapprochant du jaune. Elle était très jolie et paraissait mignonne comme tout.

    Placée avec Grignote, elle ne sembla pas vraiment l'apprécier, pourtant. Tous deux, sans se détester, restèrent prudemment de leur côté. C'était la débandade quand on les faisait sortir : ils voletaient partout dans un concert de bruits d'ailes qui battent l'air, salissaient évidemment tout, s'en allaient à l'étage, et Brindille se cognait aux vitres même quand les volets étaient à demi fermés. Alors on finit par ne plus les libérer, d'autant plus qu'ils ne s'occupaient absolument pas de leurs maîtres, passant au-dessus d'eux sans jamais se poser ne serait-ce que près d'eux, fuyant dès qu'ils approchaient... Grignote se laissa de moins en moins caresser sur le ventre quand il était dans sa cage, cherchant toujours à échapper aux doigts, surtout que Brindille s'affolait...

    La situation empira encore de semaine en semaine, tandis que Brindille affirmait de plus en plus sa suprêmatie dans la cage. Bientôt, Grignote reçut des coups de becs, se vit chassé des mangeoires. On n'entendait que les piaillements mécontents de Brindille, et Grignote, qui ne chantait déjà que rarement, n'ouvrait plus le bec. Souvent, il fallut aux maîtres séparer les deux oiseaux qui s'attaquaient, ou plutôt arracher Grignote aux griffes acharnées de Brindille.

    La famille avait coutume de partir en vacances en laissant les perruches, leur donnant une ration suffisante de nourriture et d'eau pour qu'elles vivent bien pendant ces quelques jours d'absence. Mais cette fois-là, Brindille put attaquer à sa guise Grignote et l'empêcher de manger comme elle le désirait. Au retour de vacances de mes anciens humains, Grignote fut trouvé mort au fond de la cage. Pauvre ami... Il alla trouver sa place à mes côtés au fond du jardin, où je pus lui tenir compagnie, en quelque sorte.

    Quant à Brindille, elle fut la plus teigneuse de nous toutes. Criant à tue-tête toute la journée, piaillant de mécontentement dès qu'on approchait le piano, elle salissait la maison sans sortir de sa cage, je ne sais même pas pourquoi. Le fait qu'elle ait tué Grignote, qu'elle ne se laisse pas approcher, qu'elle râle toujours après ses maîtres, en fit celle qui fut aussi la moins aimée de toutes. Elle apparut bientôt plus comme une gêne que comme une compagne et vécut plusieurs années aux côtés de mes maîtres.

    Un jour où ma maîtresse devait être en troisième, l'humaine qui était sa mère trouva un acquéreur pour Brindille. Cet homme avait entendu parler des déboires avec la perruche jaune et possédait une énorme volière ; cela ne le gênait pas d'accueillir une petite nouvelle.

    Brindille s'en alla le jour même et ne fut pas remplacée.

    Aujourd'hui, elle vit encore, dans cette volière qui semble mieux lui convenir. Les tombes de Pirouette2 et de Grignote, ainsi que la mienne, furent détruites quelques années plus tard par une pelleteuse qui aplanissait le terrain. Mais je sais que mon souvenir est toujours présent dans les coeurs de ma famille qui, après toutes ces années, continue de penser que j'étais une perruche exceptionnelle. 

     

     

     

     

     

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    Petits contes ailés

     

    Histoires d'oiseaux

    qui croisèrent mon chemin

     

    J'ai eu beaucoup d'aventures avec les oiseaux, et peu qui ont fini bien, malheureusement. Je crois que je ne suis pas vraiment faite pour ces animaux.

    Je ne compte plus les fois où mon premier chat m'a rapporté des moineaux blessés, quand ils n'étaient pas déjà morts. J'ai pu en sauver deux parmi eux. Je me rappelle les avoir arrachés en douceur à la chasseuse, comme beaucoup d'autres, et je les ai mis dans un nid douillet improvisé s'ils étaient vraiment mal en point -vous savez, ces petites maisons pour oiseaux dont on hérite en même temps que les chocolats de Pâques -, ou bien dans la cage de transport de mon chat s'ils allaient déjà mieux, le temps qu'ils se remettent. 

    En vérité, même certains que je mis directement dans la cage de transport moururent dans la nuit. J'avais encore des graines et des millets, je pus les nourrir. Mais voilà, seulement deux purent être relâchés le lendemain matin, impatients de repartir. 

    J'ai aussi le souvenir d'un oiseau malade que j'avais recueilli bien avant d'avoir mon premier chat, pendant que j'avais Grignote je crois. Il faisait très froid ce jour-là et l'oiseau s'était réfugié contre la porte du jardin, tremblant. Dès que je l'ai vu, je l'ai pris, l'ai réchauffé, l'ai nourri... Mais il est décédé lui aussi. On ne peut pas faire grand-chose pour ces animaux, ils sont si petits, on n'a pas les moyens de les soigner, et même les vétérinaires sont souvent impuissants.

    Là où je me sens plus coupable, c'est quand j'ai recueilli un oisillon qui avait déjà ses plumes et apprenait à voler mais ne pouvait que sautiller. C'était là aussi un moineau, et je l'avais recueilli au centre équestre. Il appelait désespérément sa mère et je l'avais trouvé coincé derrière un frigo, empêtré dans les tuyaux. Je pensais qu'il avait perdu sa mère et qu'il allait mourir là, tout seul, alors je l'ai pris, sans savoir que la mère serait très probablement venue le chercher à la tombée de la nuit pour le ramener au nid. Le petit oiseau ne savait pas se nourrir tout seul, je lui ai donc concocté des mélanges pour oisillon - en passant, surtout pas de pain au lait, mais plutôt des croquettes pour chat ramollies, c'était conseillé sur Internet. Mais il n'y avait rien à faire, il ne voulait pas ouvrir le bec. J'ai tout essayé pour qu'il ne se laisse pas dépérir, mais je crois que c'est un réflexe lorsqu'ils sont enfermés et séparés de leur mère, ils se laissent mourir.

    Il est mort deux jours plus tard après mas vains efforts. Je me suis sentie stupide.

     

    J'ai aussi eu des histoires avec des oeufs. La première reste un souvenir amer, chargé de rancoeur et de dégoût pour la cruauté enfantine. C'était dans la cour d'école, j'étais en CE2 et il y avait un arbre qui poussait sur le béton. Un oiseau avait fait son nid hors de portée, jusqu'à ce que des travaux soient faits et qu'une terrasse rendent les branches accessibles. La première réaction des enfants, ça a été de ses saisir des oeufs et de faire une bataille avec. J'ai pu en récupérer un pour tenter de le sauver, dégoûtée. Je l'ai réchauffé comme j'ai pu, suis restée pendant des heures à côté de lui, l'entourant de coton et posant ma main dessus.

    Quand il s'est ouvert, on ne voyait qu'à peine l'embryon. Je n'avais pas pu en sauver un seul du désastre.

     

    J'ai trouvé d'autres oeufs, des oeufs de pigeon cette fois, quelques années plus tard alors qu'ils allaient être donnés à un chien, mais l'expérience n'a pas été plus concluante. Ils ne se sont jamais ouverts, et de toute façon, c'était peine perdue avec cette espèce d'oiseaux, car à la naissance des petits, la mère secrète un mélange qu'elle leur donne et qui leur est indispensable, mais l'Homme n'a jamais réussi à le reproduire. Je crois que je ne toucherai plus jamais aux oeufs, même s'ils sont en danger, car je ne leur suis d'aucune utilité. Pareil pour les oisillons, mon intervention ne les mettrait que plus encore en danger.

    Par-contre, je continuerai d'essayer de sauver les victimes de mon chat, même si l'espoir est minime.

     

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    Je m'aperçois que j'ai honteusement oublié de vous parler d'un oiseau qui m'a profondément marquée quand j'étais toute petite : le rouge-gorge. Un rouge-gorge devait nicher juste à côté de chez nous en Normandie, peut-être dans les tuiles du garage ; en tout cas, il venait nous voir tous les jours et à chaque fois, nous sortions dans la cour où il sautillait joyeusement pour tenter de l'approcher. Nous lui donnions des petits morceaux de pain le matin et le soir et, à croire qu'il avait une horloge dans la tête, il revenait toujours à ces heures-là, même si on pouvait aussi le voir dans la journée. Les rouge-gorges sont des joueurs ; malins, futés, intelligents, ils sont un peu comme les corbeaux ou les pies, ils aiment prendre des risques. L'oiseau s'approchait de nous de manière presque insolente parfois, c'était fascinant, et si au départ il n'avait nulle envie que nous le touchions et s'amusait simplement à s'envoler au dernier moment, je me rappelle que dans les derniers jours avant notre déménagement pour le sud de la France, il a semblé réellement vouloir manger ans nos mains, même si je peux me tromper. Il était presque à portée de main quand mon père a déboulé dans la cour par la porte-fenêtre, faisant fuir le rouge-gorge...

    Pour moi, cet oiseau est resté un des symboles de cette Normandie que j'aime tant. Tout comme le muguet est ma plante favorite, le rouge-gorge, lui, demeurera certainement l'oiseau que je préfère.

    Je n'en ai que peu revu dans le sud de la France. Quelquefois, j'en ai apercu qui picoraient les fruits de la vigne vierge sur ma terrasse, mais ils ne ressemblaient pas à l'oiseau joueur dont je me rappelais, et ils étaient si rares. Pas une fois mes chats ne m'en ont rapporté un. Je me souviens en avoir rencontré un chez mes grands-parents, dans le jardin ; je devais avoir onze ans et il voletait autour de la table où nous mangions, dehors. J'avais à cette époque une chatte très chasseuse, qui nous ramenait presque tous les jours le butin de ses nombreuses chasses. Le rouge-gorge avait un éclat de malice dans les yeux et faisait mine de n'avoir pas remarqué le félin qui s'était déjà placée en position d'attaque. Pire que cela, l'oiseau faisait exprès de venir se poser tout près de la chatte qui en bavait d'envie. Mais à chaque fois qu'elle lui sautait dessus avec de plus en plus de colère, il trouvait le moyen de lui échapper. Il s'envolait toujours à la dernière seconde, lui glissant entre les griffes, et allait se poser pile hors de portée, juste à la limite, sur une branche basse mais trop fragile pour supporter le poids de la chasseuse ou au sommet d'un buisson trop épais pour que la chatte puisse s'y introduire.

    Nous avons bien ri ce jour-là, sauf peut-être la chatte qui n'en menait pas large.

    Chaque fois qu'un rouge-gorge se pose près de ma fenêtre, je ne peux désormais m'empêcher de l'observer avec un sourire, et je sais que du coin de l'oeil, l'effronté me surveille avec un éclat dans le regard qui ressemble à un sourire malicieux...

     

    Un temps de chiens

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     



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